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Vernaculariser la ville technologique !


A Lomé, au Togo, HubCity se veut depuis 2012 un modèle “néovernaculaire” de développement d’un futur technologique responsable pour les villes africaines : apprentissage par les pairs, innovation fait maison, auto-organisation démocratique, etc.

Cet article synthétise l’expérimentation sous la forme de trois propositions clés en réponse aux débats de l’atelier conclusif du programme ASToN :


1. Acupuncture urbaine et réseau de Labs pour une distribution de la capacité d’innovation urbaine.

Une partie de l’étonnante résilience démontrée par le continent africain en face de la crise du COVID-19 est liée à la survivance de systèmes villageois au sein des grandes villes. La « smart city » pourrait se couler dans cette trame en envisageant de se produire dans la proximité avec le relai d’Espaces de Démocratie Technologique et autres laboratoires d’innovation de quartier.

2. L’acquisition d’un pouvoir communal à travers la plateformisation.

Aujourd’hui les collectivités territoriales sont souvent limitées à un poste d’observation par rapport à la révolution digitale en cours. A travers des plateformes communales, comment pourraient-elles transcender cette situation en devenant directement force de proposition et acteurs à part entière de l’innovation ? Cette nouvelle organisation permettrait en plus d’étendre la notion de biens communs de ces plateformes.

3. L’opportunité Web3, blockchain, NFTs etc pour révolutionner en la démocratisant, le financement de l’innovation :

La nouvelle technologie DAO (Digital Autonomous Organisation) née de la troisième évolution de l’internet (Web3), pourrait devenir le nouveau terrain de jeu des acteurs engagés dans la transformation digitale vertueuse des villes africaines. On peut envisager ainsi, par exemple, une solution de financement et gouvernance numérique démocratique dont les collectivités pourraient s’emparer.


Selon les estimations de l’ONU, depuis 2007 les sociétés humaines ont pris le tournant de l’urbanisation avec plus de 51% des habitants de la planète vivant en ville. Alors que l’avenir de l’homme semble irréversiblement urbain, l’Afrique amorce une transition démographique qui devrait en faire le continent le plus peuplé d’ici 2050, accueillant fatalement certaines des plus grandes villes du monde. La question de l’urbain deviendrait donc africaine.

Les technologues numériques entrevoient elles aussi la ville comme leur horizon. Elles expérimentent de plus en plus des solutions pour englober la prochaine génération d’infrastructures urbaines. Le continent africain devra donc se saisir du sujet de la ville technologique et trouver sa propre version.


Perspectives de croissances démographiques pour les principales villes du continent africain.

L’Afrique à l’ère de la « smart city »

Selon les données de l’OCDE, d’ici 2050, les villes africaines devraient accueillir près d’un milliard de nouveaux habitants. Un sixième de l’urbanité mondiale serait alors localisée sur le continent. Cela oblige à repenser dès maintenant le tissu urbain. C’est moins pour juguler cette urbanisation inédite que par effet semble-t-il de mode, que ces dernières années, des projets de « smart city », certaines parmi les plus fameuses dans le monde, ont commencé à se multiplier sur le continent.

Les « smart cities » constituent un croisement d’intérêts entre les technologies numériques et le développement urbain. A l’ère du capitalisme digital et des dangers de la société de surveillance, l’enthousiasme qui entoure les projets africains laisse soupçonner une méconnaissance des enjeux. Les décideurs et les élus sont les premiers responsables de cette innocence. Dans l’ensemble, les villes intelligentes promettent de rendre la cité plus attrayante, d’optimiser la gestion urbaine, de créer des emplois, de favoriser l’essor de l’innovation numérique, d’améliorer les conditions sanitaires, de stimuler les exportations, etc. Dans les conditions de l’urbanité massive que connaitra l’Afrique, elles regénéreraient sa capacité à catalyser un développement socio-économique de façon significative.

Les africains se confrontent à l’enjeu de hâter une prise de conscience et des chantiers alternatifs et locaux de « smart city » plus inclusives et écologiques.

En ce qui concerne les questions de climat, de culture, d’histoire et de modes de vie, il semble nécessaire que les innovateurs africains développent des modèles locaux de « smart city ». En outre, il est crucial pour les africains que les développements urbains et technologiques aient un impact social et servent à la création d’emplois ainsi qu’à la création de systèmes d’éducation et de santé. Aucune ville ne peut être qualifiée d’intelligente en appauvrissant sa population locale par la création de dettes et les flux d’argent vers des entreprises étrangères qui importent des solutions inadaptées de l’étranger.


Le répertoire des projets de « smart-city » sur le continent

1. La proposition d’une acupuncture urbaine pour une ville intelligente d’initiative grassroots

Une smart city vernaculaire et intégrée

Les espaces d’innovation qu’ils soient des hackerspaces, des FabLabs issus du mouvement des makers, des pépinières d’entreprises innovantes et des coworking spaces, les tech-hubs s’affirment comme des lieux où on peut travailler et vivre une expérience d’apprentissage entre pairs, parfois à la mode numérique nomade. Ce sont autant de modèles expérimentés qui pourraient accompagner les développements économiques du terrain, tout en élevant ses parties prenantes dans un contexte démocratique innovant.

Situé au carrefour de toutes ces typologies de lieux d’innovation, le modèle “WoeLab” proposé se présente ainsi comme un “Espace de Démocratie Technologique” entièrement dédié à impacter positivement son quartier. Cette utopie concrète entièrement autofinancée vise à déployer à Lomé, la capitale du Togo, un réseau d’incubateurs grassroots dédiés à lancer une série de cohortes de startups d’innovation urbaine dont la synergie pourrait faire émerger des « smart quartiers » autour des WoeLab.


WoeLab Prime : HubCitizens du programme GirlBoss

Réseau WoeLab et biens communs urbains

HubCity transforme la ville autour d’espaces d’innovation ouverts (WoeLabs) en créant des synergies vertueuses entre les startups incubées et l’environnement, dans le quartier. Défendant initialement une mission éducative, HubCity est une alternative à la gouvernance descendante. Elle offre aux citoyens un moyen de prendre la tête des transformations urbaines, en utilisant un réseau et des ressources communes disponibles dans les laboratoires ouverts. Elle représente un endroit où centraliser les contenus éducatifs sur la qualité des espaces publics, s’approprier la production de nourriture, du recyclage des déchets alimentaires des maisons environnantes à l’épandage du compost dans un réseau de potagers. L’éducation des participants à la durabilité, aux technologies de pointe et aux logiciels libres est la magie sous-jacente qui rend le processus entrepreneurial vertueux.

L’éthique du coopérativisme digital qui émerge d’une telle expérimentation devrait à un certain point, croiser dans les contextes assez matures et ouverts, une dynamique favorable impulsée par les communes pour qu’il atteigne son plein potentiel. En retour, elles en tireraient les ressources pour construire et installer leur propre système digital de management urbain.


WoeLab Zéro : Hub-Citizens travaillant dans un jardin potager collectif de la Startup Urbanattic.

2. Des infrastructures techno-politiques non propriétaires et des plateformes communales

Pour contrer le modèle des plateformes verticales, importés de la ville intelligente, HubCity prône l’accompagnement des collectivités dans le développement de plateformes publiques. Les plateformes sous mécénat municipal serviraient donc de projets techno-politiques pour une éducation sociale et écologique des citoyens, attentive aux acteurs locaux de l’innovation.


Mitiger un maximum la privatisation numérique

Que ce soit dans le secteur des services, dans les médias sociaux, dans le commerce de détail ou les mise en relation dans le cadre de prestations de pair à pair, les business de plateforme agrègent d’extraordinaires flux de données de nombreux acteurs et deviennent de puissants architectes de notre réel. Aujourd’hui, le modèle de plateforme s’étend dans le domaine des services d’intérêt général, c’est-à-dire dans les domaines des infrastructures tels que la santé, l’éducation, l’approvisionnement local, le logement et la mobilité, dans laquelle les entreprises, auparavant essentiellement publiques, opéraient traditionnellement sous le patronage municipal. Dans certains secteurs comme la vente en détail et la mobilité, les contours de la privatisation numérique de services essentiels ou d’intérêt général sont déjà très avancés. Ce déploiement engage directement la responsabilité des élus locaux et des entreprises municipales qui finissent par connaître de moins en moins comment utiliser les services publics. Or, il apparaît que les infrastructures basées sur des plateformes sont en principe une affaire publique qui devrait être organisée de manière transparente et démocratique.

De plus, les municipalités et les acteurs publics, devraient aller au-delà du simple effort de contrôle. Les tentatives du législateur au niveau national ou même international pour obliger les plateformes à se conformer aux normes de base en matière de concurrence, de travail, de fiscalité et de protection des données se sont avérées jusqu’ici largement inefficaces. Les collectivités sont appelées à instituer une force de proposition capable d’organiser et de gérer leurs propres systèmes de plateformes, complètement souveraines ou développés au sein d’un dialogues avec les grands acteurs.

Cette approche dégagerait de nouveaux horizons à l’innovation. En effet des mécanismes de coordination plus efficaces transitant par des espaces décentralisés valoriseraient de nombreux petits fournisseurs alternatifs qui pourraient transmettre sans biais, plus d’informations de meilleure qualité que le mécanisme des prix sur les marchés traditionnels. Leur efficacité pousserait les grands groupes technologiques hors de l’espace foncièrement public ou civiliserait leur action.


3. Web3 et nouveaux horizons pour le financement et la gouvernance démocratique?


Ce que le Web3 change aux villes. Perspectives africaines

Bitcoin, Blockchain, NFT, DAO, Metaverse… un nouveau lexique d’internet s’est récemment inséré dans nos discussions. “Nous vivons les prémisses d’une révolution!” disent les plus enthousiastes, “A quoi ça sert?” répondent les plus pragmatiques.

La maturité technologique nous permet désormais d’envisager une troisième génération d’internet, le web3, où chaque utilisateur sera propriétaire de ses données, et libre d’échanger avec ses pairs sans dépendre d’un intermédiaire. Le nouvel internet, sécurisé, décentralisé et équitable, appartiendra à ses utilisateurs, qui partageront un pouvoir de gestion au travers de votes au prorata de leur détention d’actifs.

Cette utopie auto-organisatrice donne à rêver aux plus ambitieux de construire de nouvelles villes à partir de zéro, où ils pourront rassembler dans le monde matériel les membres d’une communauté en ligne partageant des actifs dématérialisés. La croissance démographique africaine, la jeunesse de sa population et l’adoption récente massive de la téléphonie mobile en font un marché émergent prometteur pour les technologies de l’information. Les incubateurs d’entreprises se multiplient aux quatre coins du territoire et une nouvelle génération d’entrepreneurs entend participer à l’élévation de leur niveau de vie par la résolution de problèmes locaux.


HubCity-DAO

Pour HubCity, cette opportunité se traduit en HubCity-DAOv (organisation autonome décentralisée), émanation web3 de la mission initiale. En collectant le soutien de nouveaux membres attirés par l’aventure technologique africaine, nous voyons l’opportunité de faire un pas de plus dans le modèle d’auto-gestion en transférant la gouvernance du projet HubCity à une communauté de financeurs sociaux. Cette révolution peut inspirer une révolution municipale dans la relation des villes au financement de leur futur technologique. En échange de leur implication, les contributeurs reçoivent des WOE, une monnaie sans valeur économique, qui leur permet de s’impliquer dans l’avenir de HubCity et d’appartenir à une communauté d’individus qui partagent des valeurs similaires et soutiennent une vision de l’avenir de ce que peuvent être les villes intelligentes.

Voici ici juste 3 de nombreuses pistes explorées dans le cadre de la HubCity pour penser et proposer aux collectivités territoriales africaines des nouvelles manières d’approcher et s’investir dans des villes technologiques pleinement locales.

Ecrit par Sénamé Koffi Agbodjinou.