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La résilience institutionnelle ou comment les équipes locales d’ASToN se renforcent pour faire face aux nouveaux défis et aux incertitudes.




ASToN est un réseau de 11 villes africaines qui collaborent dans le cadre de projets visant à transformer numériquement des pratiques de gouvernance urbaine. La pandémie de COVID fut une grande source d’incertitude lorsqu’elle est survenue, et le réseau ASToN a été confronté à de nouvelles problématiques : Les villes allaient-elles être en mesure de poursuivre leurs projets ? Comment construire un réseau qui repose sur le rapprochement des personnes à l’heure de la distanciation sociale et des réunions en ligne ? Alors que les projets étaient en cours, ces problématiques ne représentaient qu’un petit échantillon de celles auxquelles l’équipe d’ASToN essayait de répondre. Pendant que le Secrétariat révisait sa méthode de travail, les 11 équipes locales ont également dû trouver leur propre façon de mener à bien leur travail.

La pandémie de COVID-19 a été une crise à l’échelle mondiale, mais d’autres perturbations locales ont également entravé la progression des villes ASToN, comme les changements politiques, les troubles sociaux, les inondations liées au changement climatique et les changements au sein des équipes de coordination. Tous ces événements ont fragilisé l’avancement des 11 projets, mais ont également donné l’occasion aux équipes locales de renforcer leur résilience, de devenir plus fortes et de continuer à faire progresser leurs projets. Alors que les villes s’efforcent de relever ces défis et qu’elles opèrent des transitions en matière de planification et de gouvernance urbaines par le biais de leurs projets ASToN, il est important de noter que la résilience est un facteur essentiel qui peut contribuer à leur bien-être. Elle permet aux villes de trouver des ressources pour expérimenter et innover lorsqu’elles sont confrontées aux incertitudes, mais aussi de résister aux chocs et de renforcer leur capacité à se relever après une situation de crise.

Pour le réseau de 11 villes et le Secrétariat, la résilience institutionnelle ne consiste pas (uniquement) à se relever rapidement et à remettre les projets sur les rails. Elle suppose également de pouvoir s’adapter et réagir aux perturbations, d’échanger des connaissances et d’apprendre dans le but de devenir plus fort. Le tout en maintenant une vision forte pour une transition numérique progressive, soutenue par le leadership nécessaire pour en faire une réalité.

Afin de comprendre comment les équipes locales et les municipalités d’ASToN renforcent leur résilience institutionnelle, cet article présente les bonnes pratiques utilisées par deux des villes ASToN, telles qu’elles ont été décrites par leurs coordinateurs locaux : Martin Ssekajja, coordinateur du projet à Kampala, et Landry Ahomadikpohou, coordinateur local de Sèmè-Podji.


Rebondir en intégrant le changement et en s’y adaptant

Pour nous, la résilience correspond à la capacité d’une entité donnée à réagir aux bouleversements et aux incertitudes et de sortir renforcée de cette expérience. Les chercheurs et les experts[1] ont identifié trois approches possibles :

1. Les groupes, communautés ou équipes peuvent rebondir et revenir rapidement à leur état initial. (En gros, on revient à l’étape initiale et on s’efforce ensuite d’avancer)

2. Ils peuvent absorber le choc et poursuivre leurs activités comme à l’accoutumée. (comme si rien ne s’était passé, et les progrès réalisés ne sont pas entravés)

3. Enfin, ils peuvent rebondir en intégrant le changement et en s’y adaptant, et en développant un parcours de croissance.

Mais il s’agit là d’une théorie, alors que dans la pratique complexe du monde réel, ces trois approches sont plus difficiles à adopter. Tout au long de l’entretien avec Landry, coordinateur local de Sèmè-Podji, celui-ci a avoué qu’il n’était pas du tout facile de s’adapter face aux surprises et aux incertitudes. Mais comme Martin, coordinateur du projet de Kampala, l’a mentionné à de nombreuses reprises : « ce n’est pas parce qu’il y a un changement que le projet doit s’arrêter, il est essentiel d’assurer la continuité du projet ». Les deux responsables locaux proposent trois conseils pour faciliter ce processus d’adaptation et aider leurs équipes à se renforcer. Premièrement, il est important de reconnaître le problème, deuxièmement, il vous faut avoir un bras droit, et troisièmement, vous devez vous assurer que tous vos partenaires et les membres de votre équipe disposent du même accès à toutes les informations du projet.


Reconnaître le problème pour trouver la bonne solution

Le conseil de Martin pour que le processus d’adaptation soit plus rapide est de toujours commencer par accepter l’existence d’un problème. L’étape suivante, telle qu’il la décrit, consiste à analyser avec votre équipe la manière dont elle peut aborder le problème et à identifier les personnes susceptibles de pouvoir apporter leur contribution. Une fois les rôles attribués, il est important pour Martin que des ressources soient consacrées à ceux qui travaillent à résoudre ces différents problèmes. Pour son projet ASToN, c’est la méthode que l’équipe de Kampala a employée lorsqu’elle a dû adapter le cadre juridique local à la phase d’expérimentation selon le calendrier d’ASToN. L’équipe locale a reconnu que le processus local d’appel d’offre prendrait du temps, et a donc tenté de planifier à l’avance la phase d’expérimentation. En reconnaissant rapidement la présence d’un problème, l’équipe de Kampala a pu réunir les ressources nécessaires pour le résoudre. Elle a pu modifier ses actions pour faire face à la situation inattendue, et donc s’adapter et devenir plus résiliente.


Trouver un partenaire pour diriger en cas de besoin

Des changements au sein de la direction politique ou de l’équipe locale peuvent bloquer l’avancement du projet et placer les membres de l’équipe ou les collaborateurs impliqués dans l’incertitude. Les équipes de Kampala et de Sèmè-Podji ont dû s’adapter à une nouvelle dynamique de groupe. Lorsque la coordinatrice du projet de Kampala a dû partir travailler sur un autre projet, l’équipe est restée en action. Martin a déclaré : « normalement, dès le départ, nous assignons habituellement plus de personnes, des intervenants supplémentaires. Au début du projet, l’une de nos responsables de projet se consacrait entièrement au projet, mais derrière elle, nous avons désigné plusieurs autres personnes pour la seconder. Ainsi, même lorsqu’elle est partie, il a été facile pour l’équipe de s’adapter. Le projet n’était pas nouveau pour eux, c’est ce qui nous a permis d’accommoder le changement rapidement ».

Landry reconnaît qu’en tant que coordinateur du projet, il a une approche similaire. Il travaille en étroite collaboration avec son équipe et le deuxième coordinateur local, Farid Salako. Avec Landry, Farid suit tous les aspects de leur projet ASToN et participe toujours à toutes les réunions et à toutes les activités liées au projet. Pour Landry, cela fait partie de sa propre stratégie visant à faire en sorte que, quoi qu’il arrive, le projet puisse se poursuivre et que quelqu’un d’autre puisse reprendre les rênes. Cette pratique contribue à créer un environnement véritablement participatif, permettant aux membres de l’équipe de partager leurs responsabilités, leur vision et leurs réalisations. En favorisant les interactions et l’interdépendance entre les membres de l’équipe, la responsabilité et la charge de travail sont réparties de manière égale, au lieu de reposer sur les ressources d’un seul membre. Le fait de faire appel aux différents membres de l’équipe et d’exploiter les compétences et les connaissances diverses de chacun permet de se constituer une base solide pour faire face aux imprévus. Une telle stratégie peut être considérée comme de la bonne planification.


Égalité d’accès à l’information

Pour aider les équipes à se renforcer et à constituer des groupes d’action locale unis, il est important de veiller à ce que chacun ait un accès égal aux informations. C’est la philosophie que Landry applique au quotidien dans son travail pour le projet ASToN. Le coordinateur local de Sèmè-Podji envoie des e-mails, passe des appels téléphoniques, organise des réunions ou des débats et veille ainsi à ce que chacun sache tout ce qu’il sait sur le projet ASToN local : « Cela contribue à maintenir la confiance dans la gestion du projet et surtout à assurer une certaine inclusion et garantir la participation de chacun dans le déroulement du projet ». Comme l’indique Landry, cette méthode permet, le cas échéant, de demander de l’aide, mais aussi de faire intervenir rapidement les membres de l’équipe en cas de besoin.


Accéder aux connaissances et apprendre pour devenir plus résilient

Le fait d’apprendre en permanence et d’avoir accès aux informations renforce la capacité collective des institutions à réagir et à influencer le cours des actions lorsque des incertitudes apparaissent. Pour les villes ASToN, cette réserve d’informations est également issue des projets d’expérimentation, du réseau ASToN et de l’avancement de leur projet ASToN. Comme les deux coordinateurs de projets l’ont également souligné, l’apprentissage est essentiel lorsque vous cherchez à améliorer la résilience institutionnelle.


L’expérimentation comme source d’apprentissage

La phase d’expérimentation permet aux 11 municipalités ASToN de tester des possibilités de plans d’action locaux, afin de comprendre ce qui doit être modifié. Ces moments sont une riche source d’apprentissage. Les résultats qui émergent de l’expérimentation des idées aident les villes ASToN à renforcer leur capacité à résister aux bouleversements et à accroître ainsi leur résilience institutionnelle.


Capitalisation interne

Tout au long de la conversation, les deux chefs de projet ont reconnu à quel point il était important de capitaliser sur les bonnes pratiques qui ont émergé en interne pendant l’avancement de leur projet ASToN. Pour l’instant, cette pratique n’est pas en place en raison d’un manque de ressources, et elle n’est pas suffisamment prioritaire. Néanmoins, les deux responsables locaux ont montré leur intérêt pour la mise en œuvre d’une stratégie de capitalisation. Rassembler les savoirs internes qui émergent tout au long des projets est bénéfique pour les membres actuels et futurs de l’équipe locale, les équipes municipales et les partenaires du projet. En apprenant mutuellement de leurs expériences et de leur expertise professionnelle, les membres de l’équipe locale peuvent améliorer leurs compétences et utiliser les connaissances acquises dans de nouveaux contextes définis par des incertitudes.


Le leadership et la vision peuvent rassembler tout le monde autour d’une cause commune.

Se rassembler et travailler à un objectif commun est un élément crucial pour renforcer la résilience. Les leaders comprennent cet aspect essentiel et, de ce fait, concentrent leurs actions et élaborent des stratégies pour rallier tout le monde autour d’une vision commune. Pour les villes ASToN, ces stratégies passent par la création d’une cohésion autour des objectifs généraux, par le fait de montrer la voie, et par la visualisation et la communication de la vision du projet à tous les acteurs.


Construire la cohésion

Lorsque tout le monde se réunit autour d’un objectif commun, la vision du projet peut progresser.

Ainsi, la cohésion autour de l’objectif commun — une transition numérique pour des villes durables et inclusives — permet de maintenir les partenaires et les équipes locales engagés, prêts à poursuivre leurs efforts et à persévérer, même dans les moments difficiles. Comme l’a souligné Landry : « c’est pour le bien de tous et c’est une vision que nous avons tous en commun ».Pour lui, les résultats du projet ASToN de Sèmè-Podji, la mise en place d’un outil numérique pour la gestion des terres et la numérisation du système foncier font partie d’une vision plus large qui profitera à tous. C’est dans cette optique qu’il a décidé de soutenir le projet ASToN de Sèmè-Podji, dont il partage les informations chaque fois qu’il en a l’occasion. Landry se consacre totalement à faire en sorte que chacun réalise et comprenne l’importance du travail accompli ensemble. Lorsque les dirigeants politiques ont changé à Sèmè-Podji, Landry faisait toujours partie de l’équipe ASToN locale. « Je pouvais répondre à toutes les questions que se posaient les nouveaux dirigeants politiques », se souvient-il, « Parce que je connaissais l’historique du projet, j’ai pu expliquer les raisons pour lesquelles nous avons fait ce que nous avons fait jusqu’à présent. » Le fait de connaître le fondement et les objectifs de toutes les activités a permis à Landry de gagner le soutien des nouveaux dirigeants politiques et de les amener à adhérer au projet.

Martin va plus loin et souligne l’importance d’impliquer tous les partenaires, en particulier l’équipe locale, lors de l’élaboration de la vision et de la stratégie du projet. De cette façon, son équipe et tous les acteurs impliqués se l’approprient et la défendent également : ils ont un objectif commun vers lequel ils travaillent de concert.

Les chefs d’équipe de Kampala et de Sèmè-Podji entendent à renforcer la cohésion par le biais de discussions et de réunions hebdomadaires régulières. À Kampala, le groupe local se réunit chaque vendredi pour discuter. Pour Martin, il est très important que ces rendez-vous avec l’ensemble du groupe aient lieu même lorsque le projet avance lentement. Cela permet de rassembler tout le monde pour échanger des idées et des opinions, et donc de faire adhérer davantage de personnes au projet. Parfois, de nouveaux projets peuvent même voir le jour. À Kampala, ces réunions ont permis aux citoyens et aux entreprises privées de choisir certaines idées et de les mettre en œuvre. Comme Martin l’a indiqué : « nous trouvons cela très bien ! Même si c’est notre idée, le but est de résoudre les problèmes des citoyens ».


Ouvrir la voie

Landry ne ménage pas ses efforts pour maintenir la cohésion du projet de Sèmè-Podji. Il s’efforce donc de donner l’exemple à tous les partenaires et aux membres de l’équipe locale par ses actions et ses décisions prises en faveur du projet ASToN. Il fait preuve de flexibilité et s’adapte aux besoins de tous les participants, ce qui contribue à entretenir la motivation de chacun et à assurer la continuité du travail. Il prend le temps de présenter toutes les avancées du projet, de rapporter ce qui a été fait, dans quel but, et d’expliquer quelles seront les prochaines étapes. Chacun peut ainsi se sentir concerné par ce qui se passe, et cela engendre une cohésion entre tous les partenaires et les membres de l’équipe : « Je leur montre que je suis toujours là et que le projet est toujours en cours ».

Approuvant les propos de Landry, Martin ajoute que lorsqu’on travaille vers un objectif plus grand, les défis et les contraintes sont innombrables, « mais on continue à aller de l’avant et à pousser l’équipe vers cet objectif. Il est donc nécessaire d’être un leader fort, d’être capable d’entrer en contact avec différentes personnes pour bien comprendre les circonstances dans lesquelles elles travaillent ». Cette connaissance de leurs équipes aide les responsables à soutenir leurs membres, mais aussi à faire des choix sur la façon dont ils peuvent continuer à mettre en œuvre des parties du projet, même plus petites, et ainsi prouver leur attachement à la vision globale.


Définir et partager votre vision avec tous les acteurs.

Pour Martin, il est essentiel de définir votre vision, votre stratégie et vos objectifs, et de les communiquer à tous les niveaux, car cela permet de fédérer tout le monde autour d’une cause commune. De cette façon, les politiciens, les équipes municipales et les citoyens s’approprient et deviennent les promoteurs de l’objectif de Kampala. Avec sa campagne « Smart City », Kampala entend devenir « une ville dynamique, attrayante et durable », et son projet ASToN va dans ce sens. Mais pour Martin, la clé pour atteindre cet objectif est de « dépasser la technologie et de s’assurer que tout le monde comprend ce que nous faisons », et à cet égard la communication est essentielle.


Les pratiques qui améliorent la capacité d’une équipe à devenir plus résiliente

La pratique de l’apprentissage mutuel, le renforcement des capacités collectives de l’équipe et le leadership stratégique ont renforcé la résilience des équipes de projet ASToN. Les villes ASToN montrent qu’il est possible de faire face à l’adversité et aux incertitudes locales et mondiales. Avec les bonnes stratégies et des équipes responsabilisées, les villes ASToN peuvent avancer. Les deux responsables de Kampala et de Sèmè-Podji montrent que tout un travail est mis en place pour surmonter les mauvaises passes, mais aussi pour renforcer la cohérence de l’équipe. La capacité à surmonter ces situations dépendra du degré de résilience des villes ASToN.


Cet article a été rédigé par SAAM stad* est une agence de conseil en développement urbain. Ses activités se situent au croisement de l’innovation et des enjeux économiques, sociétaux et durables. SAAM stad, une agence de conseil travaillant au carrefour de l’innovation, de la société, de l’économie et de la durabilité dans les zones urbaines. SAAM stad apporte son appui au réseau ASToN en recueillant et en publiant les témoignages et expériences extraordinaires de ses membres.

Notes
[1] Tout en discutant et en expliquant le concept de résilience, Ron Martin et Peter Sunley ont étudié l’utilisation du terme « résilience » dans diverses disciplines. Les auteurs ont identifié trois interprétations principales de ce concept. La résilience consiste à « rebondir » après un bouleversement, lorsque le « système “rebondit” et revient à l’état ou au chemin antérieur au choc. [cela] met l’accent sur la rapidité et l’étendue de la récupération ». Le deuxième type de résilience est « la capacité à absorber les chocs ». Ce deuxième type « met l’accent sur la stabilité de la structure, de la fonction et de l’identité du système face aux bouleversements ». L’ampleur du choc qui peut être tolérée avant que [le] système ne passe à un nouvel état/une nouvelle forme. Le troisième type de résilience est une « adaptabilité positive » en prévision de chocs ou en réponse à des chocs. L’idée de rebondir représente la capacité d’un système à maintenir les performances de base malgré le choc en adaptant sa structure, ses fonctions et ses organisations. (Martin et Sunley, 2014)