« Nous devons évoluer et avancer ensemble » — Conversations ASToN avec Hamadou B Yalcouye
ASToN est un projet pilote dans le cadre duquel 11 municipalités africaines testent et mettent en œuvre ensemble leurs propres programmes de transformation numérique pour stimuler le développement durable et intelligent de leurs villes. Cette interview fait partie d’une série de trois entretiens avec des élus municipaux des villes du réseau ASToN, au sein duquel ces dernières et leurs écosystèmes locaux travaillent ensemble pour réaliser une transition numérique inclusive.
Hamadou B.Yalcoulye, directeur général adjoint de l’Agence de développement régional, est le coordinateur local du projet ASToN à Bamako (Mali). La crise socio-politique de 2020 a paralysé le projet de Bamako pendant 6 mois. Bien que le projet ait été ralenti, l’équipe ASToN est maintenant de retour sur la piste et se demande comment rattraper le temps perdu. Hamadou a expliqué à SAAM stad* quelle est la conception d’une ville intelligente et inclusive pour Bamako et comment elle envisage de le devenir.
1. Pourriez-vous nous parler du projet ASToN de votre ville ?
Notre projet ASToN porte sur le recouvrement électronique des impôts, mais ce n’était pas notre choix initial. Au départ, nous avions trois grandes priorités : la gestion des déchets et l’assainissement, la mobilité et le transport, et enfin la mobilisation de nos ressources, les finances locales. Avec nos partenaires impliqués dans ce projet, nous avons débattu pour déterminer quelle était la problématique la plus importante. Au cours de notre discussion, nous nous sommes rendu compte que la ville ne pourrait pas maîtriser les problèmes de gestion des déchets et de mobilité tant qu’elle n’aurait pas mobilisé suffisamment de ressources pour investir dans ces domaines, qui demeureraient donc des priorités pour Bamako. Notre groupe de discussion était composé entre autres de représentants d’universités et de la société civile qui ont accepté de nous soutenir à une condition : la gestion des fonds devait demeurer transparente et traçable. C’est pour cette raison que nous avons décidé de coupler le thème de la e-fiscalité avec celui de la e-gouvernance, ce qui nous a également orientés vers nos partenaires.
Pour nous, le projet ASToN est une occasion de montrer que notre municipalité peut progresser et développer un savoir-faire, et donc l’appliquer dans un avenir proche à d’autres projets qui pourront répondre aux problématiques d’assainissement et de mobilité existantes.
2. Qui sont les personnes et les partenaires qui travaillent sur ce projet ?
L’équipe principale de la municipalité de Bamako est composée des élus de Bamako, d’un élu en charge des questions financières, d’une personne en charge de l’informatique et d’une personne chargée de la communication. Au cours de notre candidature, ce petit groupe a évolué et des acteurs essentiels par rapport au thème choisi nous ont rejoints : la police nationale, la brigade de protection de l’environnement et, par la suite, les usagers représentés par la société civile. Nous travaillons avec le Conseil national de la Jeunesse du Mali, une ONG de contrôle des budgets, et l’université. Tous contribuent à assurer la viabilité de notre projet. En outre, nous nous sommes rapprochés du secteur privé, c’est-à-dire du milieu des start-up, et du groupe FAMIB(1). Actuellement, le groupe local compte environ 21 personnes.
3. Quelles sont les difficultés à travailler au sein d’un groupe aussi vaste et diversifié ? Quelles sont vos armes secrètes ?
Après avoir choisi notre thématique, nous avons élaboré un plan d’action et avons recommandé à la municipalité d’officialiser ce groupe de travail par un accord officiel. Nous avons demandé à chacun des partenaires de désigner un représentant et chacune de ces personnes a été inscrite dans l’organigramme officiel. De plus, nous avons prévu un budget pour toutes ces réunions dans notre plan d’action officiel. Nous avons prévu un budget pour couvrir tous les frais de déplacement des participants qui ne font pas partie de la collectivité locale. Même si cette somme est symbolique, elle permet de maintenir l’implication des ONG et des bénévoles dans le projet et leur permet de suivre le rythme de travail. Nous savions que ces facteurs financiers pouvaient constituer un obstacle, c’est pourquoi nous les avons intégrés dès le départ dans notre plan.
Pour les réunions en présentiel, nous utilisons une autre astuce : nous planifions nos pauses. Nous avons alloué un budget et chaque membre de notre équipe est chargé de se concentrer sur un certain aspect. Par ailleurs, nous nous adaptons aux besoins de chacun car nous voulons que tous nos partenaires soient impliqués dans nos projets. Pour cela, nous échangeons au moyen de lettres et d’e-mails, nous utilisons WhatsApp et nous passons des appels téléphoniques.
Enfin, notre arme secrète est le soutien de Mme Camara(2), première adjointe au maire, qui nous vient toujours en aide dès qu’il y a le moindre accroc dans nos relations avec nos partenaires.
4. Comment se passe la collaboration avec les start-up et le secteur privé ? Pouvez-vous nous en dire plus?
Le milieu des start-up constitue un immense réservoir de solutions pour notre municipalité, mais celles-ci ne sont pas toujours adaptées à nos procédures administratives. Lors de notre première réunion au moment de la phase de recherche préliminaire, nous nous sommes rendu compte que nous avions des philosophies et des méthodes de travail différentes. Alors que les start-ups venaient de comprendre le fonctionnement de la taxe à la vignette, elles ont identifié le problème et ont trouvé une solution en seulement une heure ! Mais pour les représentants de l’administration publique, cette solution ne pouvait pas être mise en œuvre aussi facilement… Les start-up sont pragmatiques, mais elles ne comprennent pas les réalités de l’administration publique, où les règles ne peuvent pas changer du jour au lendemain. Par exemple, le directeur financier de la municipalité qui se conforme aux règles et aux procédures des marchés publics, ou l’élu qui a besoin de la décision du conseil municipal.
L’un des objectifs de l’équipe principale est d’aider la municipalité à identifier la quantité de possibilités offertes par le secteur privé, mais aussi d’aider les start-up à intégrer notre processus interne. Actuellement, nous travaillons avec des start-up pour améliorer leur processus de réflexion afin de pouvoir développer un modèle commercial incluant à la fois nos processus et leur expérience.
5. Quelle a été l’influence de la méthode ASToN sur votre projet et que pensez-vous avoir appris pendant ce processus ?
Pour nous, ASToN a été un véritable déclic ! Pendant la phase de la recherche préliminaire, nous avons appris à identifier nos ressources locales en recensant les acteurs locaux et en sachant qui travaille sur quel sujet. En ce qui concerne l’administration publique, le programme ASToN a permis à tous les services de comprendre le rôle de chacun, qu’il s’agisse des finances, des techniciens, des officiels… Pour notre groupe, l’idée était de rassembler toutes ces personnes aux rôles bien définis et de leur faire comprendre que tout cela constitue une chaîne, et que nous devons évoluer et avancer ensemble.
Le programme ASToN nous a également permis de développer une méthode de travail plus fluide, avec des outils spécifiques à utiliser lors de nos réunions, par exemple en ce qui concerne la manière de diriger des ateliers ou les analyses par arbre à problèmes. Il n’est pas toujours facile de mobiliser tout le monde, mais nous faisons de notre mieux. Nous apprenons aussi beaucoup des autres villes, qui ont les mêmes problèmes que nous, mais qui adoptent des solutions différentes. Le partage d’expériences nous est d’une grande aide.
De plus, nous comprenons mieux ce que signifie la transition numérique. Avant, pour nous, une ville intelligente était une ville où le numérique jouait un rôle central. Est-ce seulement ça, une ville intelligente ? Est-ce une ville entièrement connectée ? Nous avons compris que non. La transition numérique nous permet de faire évoluer et d’optimiser les activités que nous menons déjà.
Chaque ville a sa propre définition de la ville intelligente, en fonction des ressources, du contexte et du degré de connectivité. Nous n’avons donc pas forcément besoin d’un système intégralement connecté avec des serveurs et tout ce qui s’ensuit. Nous nous sommes rendu compte qu’en continuant à faire ce que nous faisons tout en utilisant nos ressources judicieusement, nous pouvions optimiser nos activités et en tirer un avantage considérable. Cela nous a permis de mieux formuler notre vision de la ville intelligente. Aujourd’hui, nous avons notre propre définition d’une ville intelligente et nous avons une vision. Et nous adaptons cela à nos modestes moyens afin d’entamer notre transition vers le numérique. C’est une avancée considérable, non seulement pour moi, mais aussi pour tous les membres de l’équipe.
Ecrit par Saam Stad.