Kampala mise sur l’intervention technologique du projet ASToN pour ouvrir la voie à une meilleure mobilité
Cet article est le fruit d’une collaboration entre le Journalism and Media Lab (Jamlab), ASToN et le Civic Tech Innovation Network (CTIN).
Depuis deux ans, Daniel Luboyera gagne sa vie comme chauffeur de taxi à Kampala, la capitale de l’Ouganda. Mais il ne se passe pas un jour sans que cet homme de 34 ans ne redoute les difficultés liées aux routes « étroites et parsemées de nids de poule » de Kampala.
« Chaque fois que je quitte mon domicile, ma plus grande crainte est de perdre du carburant et du temps dans des embouteillages. Lorsqu’il y a des embouteillages, un trajet coûtant normalement 20 000 shillings (environ 6 dollars) peut coûter 10 000 shillings (environ 3 dollars) de plus en carburant. Puis on perd beaucoup de temps sur la route. Si vous êtes censé faire 12–13 trajets par jour, vous en perdez 4–5 à cause des embouteillages », a-t-il déclaré.
Avec une population de près de 3,3 millions d’habitants, Kampala est la troisième plus grande ville de la Communauté d’Afrique de l’Est après Dar es Salaam (Tanzanie) et Nairobi (Kenya). Pourtant, dans cette métropole où 90 % des déplacements s’effectuent par la route, le réseau routier de 2 110 km n’est que partiellement asphalté, ce qui fait perdre beaucoup de temps et d’argent dans les embouteillages.
« La vitesse moyenne des véhicules dans la zone métropolitaine de Kampala est de 25,9 km/h », indique un bulletin de 2021 de la Kampala Capital City Authority (KCCA). « On estime que plus de 24 000 heures de travail sont perdues dans les embouteillages chaque année. « Le temps passé par un véhicule chaque année est estimé à 26 000 heures. Le temps que les véhicules passent sur la route donne une indication de la perte monétaire et de la pollution attribuée aux embouteillages. »
Les problèmes d’embouteillages de Kampala ont préoccupé les agents de la KCCA, le parti au pouvoir, le National Resistance Movement (NRM), et de la National Planning Authority (NPA) qui assure la mise en œuvre des plans de développement nationaux et la vision stratégique.
Dans le cadre des efforts déployés pour réduire les embouteillages et leurs conséquences, la KCCA a rejoint le réseau African Smart Town Network, un un projet pilote de coopération qui rassemble 11 villes africaines pour développer des pratiques numériques afin de créer des villes durables et inclusives
ASToN est un projet financé par l’Agence française de développement (AFD), géré par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), et inspiré des connaissances et des outils du programme européen d’échange et d’apprentissage (URBACT). Chaque ville choisit une thématique sur laquelle elle souhaite travailler et un un défi qu’elle voudrait relever.
Selon Martin Ssekajja, responsable des technologies de l’information de l’autorité, qui est également le coordinateur local ASToN à Kampala, la KCCA a choisi de relever ses défis en matière de mobilité au cours de ce projet de de 3,5 ans, qui a débuté en octobre 2019.
« Notre aspiration première pourque Kampala rejoigne ASToN était notre vision partagée que l’utilisation des outils numériques peut résoudre les défis auxquels sont confrontés les citoyens », a-t-il indiqué dans une interview fin décembre 2021. « La confirmation que la mobilité était notre principale défi a été compris lors de la première phase du projet. »
Le projet comporte trois phases. Au cours de la première phase, qui a duré jusqu’en juin 2020, M. Ssekajja rapporte qu’ils ont pu accueillir les dirigeants des villes ASToN et signer un accord (Memorandum of understanding) sur les modalités de leur collaboration. Cette rencontre a aussi marqué le lancement des recherches préliminaires des villes.
La phase deux du projet a consisté à formuler la feuille de route du projet au niveau local et à obtenir l’approbation politique et administrative. Ils ont aussi créé le groupe d’action locale ASToN à Kampala, mené une recherche préliminaire afin de déterminer le principal problème à résoudre et développé un plan de communication.
Durant la phase trois, KCCA expérimentera une partie de sa solution afin d’améliorer son plan grâce aux apprentissages de cette période de test.
Au sujet du soutient d’ASToN à la municipalité pour atteindre leurs objectifs et réaliser leur projet, M. Ssekajja a déclaré : « ASToN a fourni des outils de formation, [et] des méthodologies pour guider la KCCA dans la mise en œuvre de solutions de mobilité applicables ».
D’après M. Ssekajja, ASToN aide actuellement Kampala à réaliser la phase expérimentale[1] du projet.,ASToN a aussi contribué à la création d’un cadre de travail pour encourager la collaboration et lee partage des connaissances entre Kampala et les autres villes africaines du réseau, et a aidé Kampala à réaliser une étude de référence sur son programme de ville intelligente (smart city).
« ASToN a facilité l’analyse des problèmes et l’application de solutions par la création d’un groupe d’action local regroupant l’autorité de la ville, des acteurs privés, la société civile et les principales parties prenantes », a-t-il précisé. ASToN a [également] organisé des visites de terrain pour découvrir ce que autres villes partenaires du réseau, comme Kigali, faisaient. De plus, il a facilité le partage des connaissances au sein du cluster « mobilité urbaine » qui comprend Kampala, Lagos et Niamey. »
La mise en œuvre du projet ASToN à Kampala a débuté un an avant que la KCCA ne se lance dans la mise en œuvre d’une nouvelle stratégie informatique pour 2020–2025, dont l’objectif principal est de faire de Kampala une ville intelligente.
Au moment de la publication des résultats de l’étude de référence d’ASToN, la KCCA avait déjà créé un centre de contrôle du trafic couvrant 15 carrefours, un système de collecte des recettes qui accepte les paiements via des plateformes d’argent mobile, un cloud privé pour la ville qui héberge plus de 60 applications de la KCCA, des systèmes en ligne qui ont intégré l’évaluation de masse assistée par ordinateur d’environ 350 000 propriétés et 11 canaux de communication pour améliorer le dialogue avec les habitants.
Martin Ssekajja a mentionné que l’application de navigation détaillant tous les actifs fixes, les numéros de maison et les adresses à Kampala facilitera les déplacements des habitants cherchant à se rendre dans des endroits spécifiques de la ville. En effet, la KCCA a intégré les adresses sur Google Maps afin defaciliter le commerce électronique et la mobilité.
Et Martin Ssekajja d’ajouter : « En outre, le secteur privé, par le biais d’entreprises technologiques, a développé plusieurs applications de mobilité telles que Kommute Taxi, Spesho, Ka Cyber, Uber, Safe Boda, Ollie Taxi et bien d’autres pour améliorer la mobilité ».
La KCCA espère maintenant s’appuyer sur les différentes interventions et innovations en matière de mobilité réalisées par les institutions des secteurs public et privé pour créer une plateforme unique appelée KlaKonnect, qui sera l’application de référence pour tous les problèmes de mobilité de la ville.
« ASToN donnera naissance à un programme phare de mobilité baptisé KlaKonnect, qui guidera les interventions en matière de mobilité dans la ville, technologie comprise », explique M. Ssekajja. « Les méthodes apprises pour mettre en œuvre des technologies pratiques pour les citoyens constitueront un héritage.»
Lors d’une exposition en ligne des services électroniques organisée par les agences gouvernementales ougandaises le 3 décembre 2021, Agnes Kahwa, architecte de systèmes à la KCCA, qui remplace également M. Ssekajja en tant que coordinatrice locale local d’ASToN à Kampala, a expliqué comment KlaKonnect contribuera à fluidifier le trafic. Elle a déclaré : « KlaKonnect est un outil qui aidera les citoyens à signaler aux administrateurs de la ville les incidents liés à la circulation et à informer les autres voyageurs de tout ce qui concerne la circulation. Nous voulons ainsi nous assurer que les citoyens adoptent l’utilisation de la technologie pour résoudre les problèmes quotidiens [liés au trafic], tout en acceptant le concept de ville intelligente. »
Selon M. Ssekajja, le programme Klakonnect comprend des interventions politiques telles que les fouilles, des interventions physiques telles que la connectivité, le transport non motorisé, la gestion des feux de circulation, entre autres, tandis que les interventions technologiques se concentrent sur la gestion des incidents, l’engagement des citoyens, l’analyse des données, la diffusion des informations et l’intégration avec les acteurs privés.
À la question de savoir si la plateforme KlaKonnect aura un impact long-terme dans une ville où les motocyclettes (appelées localement boda-bodas) constituent une grande partie du réseau de transport [plus de 500 000 motocyclettes circulent à Kampala] et où un nombre considérable d’habitants n’a pas de connaissances technologiques, M. Ssekajja répond que leur projet est de s’assurer que personne ne soit laissé pour compte.
« Les jeunes représentent 90 % de la population de Kampala et l’adoption des smartphones est estimée à 75 % », a-t-il résumé. « Nous prévoyons d’utiliser des technologies très simples pour les citoyens de Kampala, comme nous l’avons fait dans le passé Nous intégrerons des téléphones de fonction dans notre mise en œuvre et utiliserons également des solutions simples comme les SMS [Short Message Service]. »
Les six prochains mois fourniront des indications cruciales sur la viabilité de l’initiative ASToN aux conducteurs comme Luboyera. Et bien que la portée de la phase de mise en œuvre technologique du projet ASToN se limite à l’expérimentation de la technologie à déployer, M. Ssekajja est convaincu qu’elle permettra de tirer des enseignements importants pour l’agence de gestion urbaine de Kampala. Il a commenté : « La réussite de l’expérience incitera la KCCA à investir dans la technologie et dans [son] déploiement ».
Par Benon Herbert Oluka.