Bamako : la nouvelle « e-taxe » devrait faciliter la vie des motocyclistes
Cet article est le fruit d’une collaboration entre le Journalism and Media Lab (Jamlab), ASToN et le Civic Tech Innovation Network (CTIN).
La capitale malienne de trois millions d’habitants prévoit de dématérialiser le paiement de la taxe moto pour les usagers de véhicules à deux-roues. Pour mener à bien ce projet, Bamako a rejoint l’African Smart Town Network (ASToN), un réseau qui rassemble 11 villes africaines souhaitant développer des pratiques numériques innovantes afin de créer des villes durables et inclusives. Ce projet vise à aider les villes dans leur transition numérique, grâce à l’apprentissage et au partage entre pairs, sur une période de 4 ans, entre 2019 et 2022. Dans le cas de Bamako, la réforme de l’e-taxe entrera bientôt en phase pilote, avant une mise en œuvre complète prévue pour 2023
Dans la ville de Bamako, comme dans de nombreuses autres villes sahéliennes, les voitures partagent la route avec de nombreux scooters et motos. À partir de janvier, le jeune Bocary Coulibaly, comme 500 000 autres motards, devra acheter une vignette pour continuer à circuler légalement. « Je me procure souvent la vignette en début d’année dès que j’apprends qu’elle est disponible, car les retardataires doivent faire la queue très longtemps. Les files d’attente s’étendent parfois sur des kilomètres, surtout les derniers jours », raconte le jeune homme originaire de Bamako.
La taxe moto, appelée communément « vignette », est la principale source de recettes de la municipalité. Mais sa gestion pose de nombreux problèmes, tant internes qu’externes, avec des risques accrus de perte de revenus.
Pour lutter contre la fraude, la ville a décidé de ne plus délivrer de duplicatas, car ils sont souvent utilisés par des resquilleurs pour payer la vignette moins chère que son prix de base compris entre 5 000 et 12 000 FCFA (8 € et 19 €).
La gestion des rentrées d’argent en espèces pose également problème : ce sont des agents qui les manipulent et cela rend toute traçabilité impossible. « Les agents reçoivent de l’argent liquide tous les jours, et il n’existe aucun système de contrôle de la délivrance des vignettes », selon Hamadou Yalcouye, le coordinateur local d’ASToN pour Bamako.
Actuellement, l’impression des vignettes est confiée à une société privée. Il existe donc un risque que des prototypes soient détournés du circuit officiel, voire falsifiés. De plus, en investissant environ 300 millions de FCFA (461 000 €) dans la production de vignettes sans évaluation précise des besoins, la ville court le risque de se retrouver avec des vignettes invendues. Le contrôle des vignettes par la police peut être très difficile, car, comme le souligne Hamadou Yalcouye, « les policiers ne peuvent vérifier l’authenticité de la vignette que par un contrôle visuel ».
Pour remédier à tous ces problèmes, un projet de dématérialisation de la taxe est en préparation. Le coordinateur local admet que « les premières réunions étaient tendues ». « Les services fiscaux pensaient que nous mettions le nez dans leurs affaires et que nous dénoncions des problèmes structurels », explique-t-il.
Pour réfléchir au projet, un groupe de travail local a été mis en place, composé de 25 personnes aux profils variés, parmi lesquelles des responsables de l’administration locale, des collaborateurs de startups et d’entreprises privées, des universitaires et des représentants de la jeunesse, tous des utilisateurs réguliers de véhicules à deux roues. Ce groupe rassemblait des visions différentes et a réussi à réconcilier le dynamisme du secteur privé et la lourdeur de l’administration.
Hamadou Yalcouye a souligné que, bien que « technologiquement viables », les propositions du secteur privé étaient « insuffisantes » sur le plan des procédures administratives et de la comptabilité publique. Les préoccupations ont été soulevées et discutées, ce qui a permis de trouver plusieurs solutions satisfaisantes.
« Nous visons à offrir aux motocyclistes la possibilité de payer leur vignette en ligne afin de leur épargner l’inconfort de longues files d’attente ». Hamadou Yalcouye ajoute qu’en cas d’absence de vignette, la loi exige que la moto soit immobilisée et envoyée en fourrière, mais le projet d’e-taxe donnera également au contrevenant « la possibilité de payer sa licence en ligne sur le lieu du contrôle pour que la police puisse le laisser repartir ».
La ville est censée s’occuper de la délivrance de la vignette, en fournissant un numéro de série et un QR code.
Le nouveau système permettra d’améliorer la gestion des comptes de la ville tout en éliminant les intermédiaires qui proposent des vignettes à des prix supérieurs à la normale, en se postant à proximité des points de délivrance.
En 2022, la phase pilote du projet débutera dans le quartier central de la ville avec un groupe local élargi comportant différents profils.
Une fois la plateforme développée, des essais seront réalisés, en tenant compte des retours du coordinateur local. Plusieurs mesures sont en cours d’évaluation, telles que le paiement par banque mobile. La phase pilote du projet nous permettra, d’une part, de déceler et de résoudre les dysfonctionnements du système informatique et les problèmes de sécurité, d’autre part d’optimiser les contrôles à l’aide de terminaux dédiés et l’analyse des QR codes par la police.
Toutefois, seulement une minorité de la population, entre 20 et 40 %, a accès à Internet et il existe souvent des problèmes de connexion. Pour résoudre les difficultés liées à Internet, l’obtention du service par code USSD a été choisie comme alternative, et des partenariats établis avec les opérateurs de téléphonie mobile locaux.
Le déploiement de la solution est prévu pour 2023, mais d’ici là, les deux systèmes coexisteront. Le projet prévoit une période de transition durant laquelle les usagers pourront soit obtenir leur vignette en ligne, soit en se rendant aux guichets des points de délivrance (l’avantage, dans ce cas, c’est qu’ils y seront sensibilisés aux nouvelles options proposées).
De nouveaux outils ont été conçus avec le concours de jeunes entreprises locales. « Elles nous ont aidés à mettre en forme nos solutions et à leur donner du contenu », se félicite le coordinateur local d’ASToN.
Afin d’évaluer l’efficacité de ces innovations, chaque solution proposée par une startup a été soumise à l’évaluation d’autres startups pour validation. Cela nous permet d’améliorer la qualité de la solution « sans nécessairement être des experts », précise Hamadou Yalcouye.
Le partenariat étroit avec les entreprises technologiques est très précieux pour le groupe local, en particulier pour la prochaine phase de mise en œuvre de l’e-taxe.
Pour plus d’informations sur les 11 villes du réseau ASToN, consultez le site https://aston-network.org/
Ecrit par Moussa Ngom.